"L’usage des écrans au cœur de la protection de l’enfance"

Animation par Serge Tisseron et Benoît Labourdette d’une action de formation à destination des professionnels du champ social membres de la Fédération Rayons de soleil. Sur les thématiques des droits de l’enfant à l’ère numérique (alternance, accompagnement, et apprentissage de l’auto-régulation) et de la créativité avec téléphone comme outil au service du lien et de la construction de soi. Complémentarité entre l’approche de compréhension des processus de construction psychologique apportée par Serge Tisseron et leur mise en pratique dans les méthodes de travail, autour de la créativité.

Cette journée, le 25 novembre 2022, qui a réuni 80 professionnels, était organisée par Agathe Petit, responsable Etudes et Recherche de l’IRTS PACA Corse, qui accompagne cette fédération par une démarche de recherche.

Contenu de la journée

Les droits de l’enfant à l’ère numérique : alternance, accompagnement et apprentissage de l’auto-régulation.

Par Serge Tisseron

Les outils numériques bouleversent tous les domaines : le rapport aux savoirs et aux apprentissages, la construction de l’identité et les formes du lien social. Et nous pouvons à tout moment choisir de les utiliser pour démultiplier nos possibilités d’agir sur le monde, ou au contraire pour le fuir et l’ignorer, dans des pratiques qui deviennent rapidement
pathologiques, et cela aussi bien pour ce qui concerne les jeux video que les réseaux sociaux. Nos enfants auront d’autant plus de chance de s’engager du bon côté que nous introduirons les écrans dans leur vie au bon moment et de la bonne façon. Les balises 3-6- 9-12 guident les parents, les éducateurs, pour y parvenir. Elles s’appuient sur quatre recommandations également importantes : limiter le temps d’écran, choisir avec les enfants leurs programmes, parler avec eux de ce qu’ils voient et font avec les écrans, et encourager leurs activités de création dès le plus jeune âge, avec ou sans outil numérique.

Serge Tisseron et Psychiatre, docteur en psychologie HDR, créateur des balises 3-6-9-12, membre de l’Académie des technologies, du Conseil national du numérique (CNNum) et du Conseil scientifique du CRPMS (Université de Paris Cité, ED 450), Co responsable du DU de Cyberpsychologie (Université de Paris Cité).
https://www.sergetisseron.com

La créativité avec téléphone mobile comme outil au service du lien et de la construction de soi.

Par Benoît Labourdette

Les téléphones mobiles sont désormais au coeur des interactions humaines dans toutes leurs dimensions. Comment en faire des outils de créativité ? Par quels chemins la créativité, dans ses dispositifs de médiation, peut nourrir les liens (entre pairs et avec l’encadrement) et venir abonder à la construction de soi. Le numérique est un outil très puissant et à double tranchant, qu’il faut apprendre à manier avec délicatesse. A partir d’études de cas concrets, ancrés dans des concepts psychosociologiques, nous découvrirons des pistes de travail, motivantes et ludiques pour nos publics.

Benoît Labourdette est cinéaste, artiste pluridisciplinaire, chercheur, pédagogue. Consultant en innovation culturelle et stratégies numériques, chef d’entreprise.
https://www.benoitlabourdette.com

Méthode pédagogique

Le matin était consacré à une conférence de Serge Tisseron, puis une élaboration de questions par tables, auxquelles il a répondu, ce qui a inscrit un échange en appui sur leurs problématiques.

L’après-midi, dont j’avais la charge, au lieu de commencer par une conférence puis de passer à une mise en pratique en atelier, j’ai choisi de d’abord leur faire vivre une expérience de création d’images numériques, afin que mes paroles répondent à leur expérience.
Ainsi, voici le déroulé de mon intervention, dont on peut retrouver les images dans le mini-site plus bas :

  1. Leur proposer de prendre chacun leur propre main en photo, mise en scène pour dire quelque chose autour du numérique, puis, via un QR code que je leur avais fourni, publier par eux-mêmes leurs photos dans un espace numérique contributif privé que j’ai développé. Il y avait l’appropriation du numérique, et la créativité (qui est loin d’être facile à mettre en oeuvre).
  2. Les images sont apparues "comme par magie" sur l’écran, et je leur ai proposé de les regarder une à une, en faisant l’exercice de dire ce que chaque image (faite par quelqu’un d’autre) nous apportait. Ce qui fait que le regard de l’autre nous enrichit, nous institue, nous permet de nous rendre compte, de mieux comprendre, ce qu’on a créé (contrairement à la posture traditionnelle où on demande à l’auteur "Qu’est-ce que tu as voulu dire ?", qui est normative et absolument pas enrichissante, en appui sur le jugement). Ils ont donc vécu l’expérience de la création, du partage numérique, et de l’enrichissement et la construction de lien par le partage des regards. Expérience courte mais très forte pour chacun. Chacun a appris de cette expérience.
  3. Puis j’ai développé mes idées sur l’éducation, le numérique et surtout le démarche pédagogique qui me semble juste. Notamment sur la question du cadre. Le cadre, c’est l’écoute du "maître" vers les "élèves", ce qui tisse des liens, induit la confiance, et fait comme un tissage, une toile, qui est un support qui autorise. Le cadre doit autoriser par des ouvertures à du possible, non pas interdire par des contraintes. Et l’écoute, c’est travailler soi-même à lâcher ses critères, pour se donner la possibilité de recevoir ce que l’autre m’offre, qui me déstabilise. C’est ainsi que je serai enrichi, si je suis dérangé. Les neurosciences le montrent : on doit résister à ses réflexes de pensée pour pouvoir apprendre.
  4. Et moi-même, quand ils ont mis en ligne leurs premières photos, ça ne s’est pas passé comme je le pensais, ils ont créé plein de sous-dossiers, pour certains mis en ligne des photos de chats, etc. Et, au lieu de les juger, de leur "redonner la règle", ils m’ont vu déstabilisé et travailler à recevoir, à m’enrichir, de ce qui me déstabilisait. En l’occurrence, j’ai appris que lorsqu’on ouvrait un espace de publication, cela suscitait une envie directe d’expression, et ça m’importe de le prendre en compte à l’avenir. C’était donc, pour moi aussi, une expérience vécue.
  5. Ensuite, je leur ai proposé de se mettre par petits groupes, et de créer, ensemble, une photographie, dont le titre serait intégré dans l’image (il y avait des feutres et des ciseaux). Le but de ces photographies était qu’elles soient des outils pour induire des discussions et échanges. Ce fut un travail collectif. Puis ils les ont mises en ligne.
  6. Et enfin, chacun a été invité à écrire sur une feuille de papier, avec un travail graphique, ce qui l’avait enrichi, ce qu’il avait retenu d’important dans cette journée, puis de le prendre en photo pour le partager. Les contributions furent importantes, je crois.

Mini-site contributif dédié

https://www.benoitlabourdette.com/_docs/projets/2022/2022_rayons_de_soleil/

Ateliers d’échanges

Questions :

  • Est-ce que les intervenants sociaux auprès des enfants et des parents, en lien avec les parents, posent des repères à l’utilisation des écrans, semblables ou différents de ceux qui sont proposés dans les balises 3/6/9/12 ?
  • Existe-il des pratiques, des conseils donnés sur l’importance d’alterner des activités avec ou sans écrans, et parmi les activités avec écrans, entre les différents types d’activités possibles (jeux vidéo, film partagé, réseaux sociaux, etc.) ?
  • Les intervenants sociaux accompagnent-ils l’utilisation des écrans ? Quelle importance est donnée à l’âge des enfants ? D’autres critères sont-ils pris en compte ?
  • Comment les intervenants sociaux se positionnent par rapport à leur propre utilisation des outils numériques, notamment leur téléphone mobile, lorsqu’ils interagissent avec les enfants, notamment les plus jeunes ?
  • Qu’est-ce qui est proposé pour apprendre l’autonomie aux enfants dans l’usage des écrans ?
  • Comment sont débattus et résolus les conflits entre professionnels d’une même équipe et/ou entre professionnels et enfants/jeunes quant à l’utilisation des outils numériques ?