Ils se filment énormément eux-mêmes, donc c’est un support qui leur correspond.
Ils sont déjà étonnés qu’on puisse utiliser le téléphone portable aux cours des ateliers, ce qui n’est pas le cas dans toutes les formations, et ils se prennent au jeu. Ils sont déjà habitués au téléphone portable mais n’ont pas l’idée de se fixer des consignes, et se fixer des consignes est comme un jeu. Et dans ce cadre, ils sont attachés à bien filmer, à ne pas trop bouger… Au départ ils sont un peu dans la compétition : qui va faire la meilleure vidéo etc… Ils veulent tous bien faire l’exercice. J’essaie de leur montrer qu’il n’y a pas de meilleur film, on applaudit tout le monde, ils se rendent compte que chaque film est intéressant. Il y a un peu de stress au moment de la projection, mais comme chacun passe par là, c’est équitable et ça passe. Au final, ils sont tous fiers de leur film.
Le moment de la projection est un moment sympathique et riche en émotions. Ils découvrent les travaux de leurs collègues. C’est une façon de faire passer les émotions, d’ailleurs on a beaucoup de fous rires, on découvre l’humour de certains… C’est intéressant de voir à partir d’une même consigne de départ, la diversité d’interprétations, ils partent tous sur des choses très différentes !
Le travail sur l’empathie dépend aussi des consignes. Il y a eu des films réalisés sur le thème des objets fâchés, c’était très intéressant car ils ont pu mettre en scène leurs émotions. Par exemple une bouteille d’orangina qui dit : « j’arrive pas à faire mes démarches administratives j’en ai marre ! je comprends rien ! ». Elle a exprimé ce qu’elle vivait en ce moment à travers l’objet, en filmant l’objet. Donc l’empathie pour soi est liée au fait d’arriver à mettre un mot sur une émotion.
Y en a pour qui se laisser aller dans l’imaginaire est très difficile. Au moment de la consigne « Dessine la maison de tes rêves », l’un dessine, l’autre filme : certains sont restés très terre-à-terre, et d’autres sont partis très loin. Il y a plein d’interprétations différentes, mais le rapport à l’imaginaire est très différent. J’essaie de leur faire comprendre que « ce n’est pas grave si ça n’existe pas », de les amener à mettre une image sur ce dont ils auraient envie.
Ils sont beaucoup sur « le drôle et le pas drôle », les meilleurs films pour eux sont les films drôles. Ils ont beaucoup de mal à parler des films des autres. Ils sont parfois dans un rapport de compétition ou de moquerie donc j’essaie d’installer un climat de bienveillance. Mais c’est difficile de leur faire développer l’esprit critique, c’est parfois compliqué pour eux d’être critiques sans être méchants.
Je les fais toujours travailler en binômes. Ils se connaissent et se choisissent, les équipes sont libres. Ils réalisent un film avec leur téléphone portable, à partir d’une consigne que je leur propose.
Ils ont parfois des difficultés avec la langue française mais ils peuvent faire des films en roumain ou en bulgare. On a donc eu plusieurs vidéos bilingues ou trilingues. On a eu des binômes français/roumain, un qui parlait en roumain et l’autre qui faisait la traduction en français, et inversement. Ils peuvent jouer également sur ce truc de langue (exemple dans une vidéo : « Depuis quand un téléphone parle roumain !? »). Et à la projection ils se comprennent par l’image. »
Juliette Pham Tran, chargée de mission
Juliette Pham Tran, chargée de mission, Association Les enfants du Canal
« Les ateliers Pocketfilms ont lieu dans le cadre d’un accompagnement social et éducatif, le projet Romcivic. Il existe depuis 2013 et permet à des jeunes qui vivent en bidonville de faire un service civique au sein des Enfants du Canal. Pendant ce service civique de 10 mois, ils interviennent sur d’autres bidonvilles que ceux où ils habitent, ils accompagnent les habitants de ces bidonvilles (accès aux droits, animations…). Le but de ce service civique est d’être un tremplin dans leur parcours et de leur permette d’être eux-mêmes accompagnés dans leur insertion sociale et professionnelle.
L’objectif principal est de créer un espace d’expression et de création différent de ce qu’on leur propose habituellement. L’objectif des premiers ateliers n’était pas qu’ils fassent tout de suite avec les enfants des bidonvilles, mais plutôt de libérer la parole, qu’ils aient un espace d’expression pour eux. A terme, l’objectif est aussi de créer des petites vidéos pédagogiques qui soient utiles pour eux, par exemple expliquer le projet de façon ludique. Seulement dans un deuxième temps, on a refait un atelier en réfléchissant comment ils pourraient le mettre en place avec les enfants.
Il y a ensuite d’autres objectifs : utiliser leur téléphone portable autrement ; créer un espace de cohésion ; développer l’imaginaire et la créativité. Puis des objectifs liés au projet Romcivic : permettre à des jeunes issus des bidonvilles d’agir pour combattre l’exclusion, la leur et celle des autres. Favoriser l’inclusion, faire évoluer les représentations, combattre les préjugés.